Article paru dans l'Humanité du 20 septembre 2003
Au cours de son séjour officiel de quatre jours en France, le président tchadien, selon certains observateurs, prépare sa succession.
C’est en grande pompe et avec tous les honneurs dus à un fidèle allié que la France a reçu le président tchadien. L’ancienne puissance coloniale a offert un dîner et un entretien avec le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, ainsi qu’un déjeuner en tête-à-tête avec le président Chirac à l’ancien élève de l’école de guerre de Paris. Elle a toujours soutenu Déby, qui a pris le pouvoir en renversant, en 1990, le dictateur Hissène Habré, son ancien patron, et maintient au Tchad les 950 soldats français du dispositif Épervier. Mais l’entrée du pays au club des pays producteurs de pétrole a encore accru son importance stratégique. Il s’agit pour Paris de réparer l’effet désastreux du retrait d’Elf, en 1999, du projet pétrolier tchadien, et de profiter des nouvelles opportunités économiques du pays, comme l’indique la rencontre prévue entre Idriss Déby et le MEDEF. Par ailleurs, Déby est en train de devenir le nouvel homme fort de l’Afrique centrale, où son pays a multiplié les interventions : en République centrafricaine, où ses troupes ont participé au coup d’État contre le général Bozzizé, en République démocratique du Congo, ou encore au Soudan, où il aurait joué un rôle dans la création de la rébellion du Darfour.
Déby n’est pourtant pas un homme recommandable. Sous la pression des Occidentaux, il a mâtiné son pouvoir d’une apparence démocratique, en instaurant le multipartisme en 1993 et en organisant des élections en 1996 et en 2001. Mais ses victoires électorales ont été vivement contestées. Selon les organisations Survie et Agir ici, la France aurait largement aidé au truquage de celles de 1996, afin d’éviter un renversement légal du régime. Quant à celle de 2001, elle avait été suivie par ce que la Fédération internationale des droits de l’homme a qualifié d’" État d’urgence de fait ", avec l’arrestation de certains opposants et de leurs directeurs de campagne. La torture et les arrestations arbitraires sont monnaies courantes au Tchad, et l’impunité est la règle. Dans son dernier rapport annuel, Amnesty Internationale évoquait, par exemple, l’arrestation et la détention de cent personnes, dont des enfants, en mars dernier à N’djamena. Par ailleurs, " la composition du régime Déby, noyauté par des ethnies très minoritaires, apparaît très peu représentative de la population ", rappellent les auteurs de Mondes rebelles. Le président s’appuie en effet pour l’essentiel sur les Zagawa, une petite ethnie présente dans tous les rouages du pouvoir, et qui constitue l’essentiel de la puissante garde présidentielle, seule force armée, selon le député d’opposition Yorongar, à disposer d’un arsenal digne de ce nom.
C’est justement pour assurer le maintien au pouvoir de ses alliés que le président aurait rendu visite à ses amis français. Venu cet été en France pour se soigner, Déby est, de notoriété publique, très malade. C’est donc pour " solliciter le soutien de la France à son plan de succession " que le président tchadien aurait effectué le déplacement, estime Sharon Courtoux, de l’association Survie. Dans un pays qui, depuis 1965, a vu naître des dizaines de rébellions armées, et où le Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad (MDJT) est encore actif, au point d’avoir annoncé récemment la prise de contrôle du deuxième aéroport du pays, la bénédiction du parrain français reste un élément important pour garantir la pérennité du pouvoir.
Camille Bauer